André Lefèvre: un homme, une ligne, un territoire

Bâtir en silence

Architecte discret, viscéralement lié à la Méditerranée, André Lefèvre a façonné dès les années 1950 une œuvre à taille humaine, profondément enracinée dans les paysages du sud. Il ne rêvait pas de révolution, mais de justesse. Très vite, il s’est éloigné des grandes théories modernistes pour dessiner des lieux qui parlent au corps autant qu’à l’esprit : ouverts, apaisés, silencieux, naturellement en lien avec la vie qui les traverse.

Le béton, il le travaillait comme une matière vivante. Comme on modèle la terre, avec respect, avec patience. Ce qu’il cherchait avant tout, c’était une sensation juste : celle de se sentir bien, chez soi, à sa place.

Formé à l’École spéciale d’architecture puis actif dans toute la région PACA, Lefèvre s’est fait connaître aux côtés de Jean Aubert avec qui il cofonde une agence au Lavandou en 1956. Ensemble, ils dessinent des ensembles collectifs, des villas, des hôtels, des marinas, jusqu’en Iran ou à Ibiza. Mais leur approche reste constante : chaque projet part du terrain, de son climat, de sa lumière, de ses usages. Ils conçoivent d’abord pour l’humain.

Une œuvre enracinée, sensible et moderne

Il n’aimait pas les effets, ni les grands discours. L’œuvre d’André Lefèvre s’est construite en marge du tumulte, dans une forme de retrait choisi. Pas par timidité, mais par conviction. À rebours des avant-gardes tonitruantes, il a dessiné, année après année, une architecture ancrée, humble, tournée vers la vie réelle. Une œuvre discrète, mais essentielle. Pas de grands gestes, pas de slogans, juste des espaces qui tombent juste, qui rendent la vie plus douce sans en avoir l’air.

Ses bâtiments, souvent posés sur la côte varoise, s’ajustent au relief, s’accordent à la lumière, épousent les usages du lieu. Ils semblent toujours avoir été là, sans jamais s’imposer.

Ce qui comptait pour lui, c’était le chemin que l’on emprunte, la manière dont un mur s’ouvre sur une vue, comment l’intérieur prolonge l’extérieur sans rupture. Il pensait l’espace comme un souffle. Il sculptait les volumes pour que la lumière y entre doucement, à son rythme, et accompagne les gestes du quotidien.

Villa Le Pin Blanc : L’architecture en dialogue avec le paysage

Au Lavandou, adossée à une pente vertigineuse face à la Méditerranée, la Villa Le Pin Blanc semble surgir naturellement de la roche. Imaginée en 1957 par André Lefèvre pour lui-même, cette maison manifeste incarne à la fois les principes du modernisme et une attention rare à l’environnement. Aujourd’hui encore, elle reste un modèle d’intégration paysagère et de sobriété architecturale.

Une villa expérimentale

Construite sur un terrain à 45° de pente, jugé inconstructible, la villa défie les conventions. Invisible depuis la route, elle se découvre par une passerelle discrète menant à un toit-jardin. Les niveaux s’étagent ensuite en cascade vers la mer, dans une organisation fluide : entrée, séjour, chambres, atelier. Chaque étage épouse la topographie, sans jamais la contrarier.

Lefèvre voulait une maison “simple, lisible, sans obstacles”. Le béton brut, la pierre de Bormes, les toitures végétalisées et les ouvertures pensées comme des respirations donnent au lieu un caractère à la fois brut et poétique.

Un art de vivre méditerranéen

À l’intérieur, tout est continuité. Le plan est libre, les matériaux sont les mêmes dedans et dehors. On cuisine face à la mer, on circule entre les pièces comme on se promène sur un pont de bateau. L’univers nautique est d’ailleurs omniprésent : hublots en laiton, escaliers évoquant les passerelles, garde-corps horizontaux. Le langage architectural reste volontairement sobre, mais porteur d’une esthétique précise et cohérente.

Ajouts successifs, patio, atelier, belvédère, témoignent d’une architecture vivante, évolutive, jamais figée.

Une référence du XXe siècle

Aujourd’hui protégée au titre du patrimoine du XXe siècle, la Villa Le Pin Blanc fait l’objet d’un regain d’intérêt. Elle est étudiée, documentée, préservée. Non comme une relique, mais comme une leçon. Une manière rare d’habiter le monde, sobre, ancrée, généreuse.