Georges-Henri Pingusson :
modernité, mémoire et lignes d’horizon
Un architecte en rupture
Dans les années 1930, alors que l’Europe commence à voir émerger les premiers grands gestes du Mouvement moderne, un bâtiment surgit à Saint-Tropez, à la fois audacieux, minimal et radicalement nouveau : l’hôtel Latitude 43, œuvre de Georges-Henri Pingusson. À travers ce projet, l’architecte affirme une vision de l’architecture à la fois fonctionnelle, libre et profondément poétique.
Formé à l’École des Beaux-Arts, Pingusson fait partie de cette génération d’architectes qui ont pris leurs distances avec l’académisme pour se tourner vers une architecture moderne, épurée et tournée vers la vie quotidienne. Influencé par Le Corbusier, mais aussi par l’effervescence européenne autour du Bauhaus, Pingusson développe une approche très personnelle, sensible au site, à la lumière et à l’usage.
Latitude 43, une architecture en mouvement
Construit en 1932, l’hôtel Latitude 43 est un geste architectural fort. Il ne cherche pas à s’intégrer discrètement dans le paysage tropézien ; il s’y ancre puissamment, comme un paquebot blanc échoué sur les hauteurs. L’inspiration maritime n’est pas un effet de style, mais un principe structurant : les lignes horizontales, les balcons filants, les fenêtres en bandeaux, les volumes empilés rappellent les ponts superposés d’un navire.
Pingusson utilise ici tout le potentiel du béton armé, un matériau moderne qui permet une grande liberté formelle et une efficacité spatiale. Le plan est fluide, les circulations ouvertes, les pièces orientées vers la lumière et la mer. L’hôtel est pensé non seulement comme un lieu de séjour, mais comme une expérience architecturale à part entière, où l’on habite le paysage autant que le bâtiment.
Description de l’hôtel Latitude 43
L’ensemble repose sur une structure en béton armé, matériau alors novateur, qui permet à Pingusson de libérer les plans, d’ouvrir les espaces et d’orienter toutes les chambres vers la lumière et le paysage méditerranéen. Le bâtiment se développe en terrasses successives, épousant la pente naturelle du terrain, et s’intègre dans son site sans imitation : il s’impose par la logique de sa forme, non par le pastiche.
L’architecture de Latitude 43 est résolument fonctionnelle : chaque détail répond à un usage, chaque élément est pensé pour le confort, la fluidité et la simplicité. Mais derrière cette rigueur se cache une véritable sensation d’espace libre, d’ouverture sur l’horizon. Le bâtiment ne ferme rien, il organise la relation entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’ombre fraîche du béton et la lumière éclatante de la Méditerranée.
Latitude 43 est à la fois un manifeste et un lieu de vie : un projet où la forme suit la fonction, où l’innovation constructive épouse la poésie du site. C’est un exemple rare de modernisme méditerranéen, à la fois radical et ancré, lumineux et silencieux.
« Ce lieu n’est pas fait pour parler,
mais pour se taire. »
Un héritage discret mais essentiel
Georges-Henri Pingusson est de ces architectes dont l’œuvre ne crie pas, mais qui laisse une empreinte profonde. Sa production limitée témoigne d’un engagement sans compromis, d’une attention constante au lieu, à l’usage et à l’humain. À travers des projets aussi différents que Latitude 43 ou le Mémorial de la Déportation, il a su explorer les potentiels émotionnels et symboliques de l’architecture sans jamais céder à l’esbroufe.
Aujourd’hui encore, sa démarche reste une source d’inspiration : une modernité sobre, contextuelle, rigoureuse, au service d’une expérience de l’espace à la fois concrète et sensible. Un architecte du réel, qui a su parler au monde avec la force du silence et la clarté des lignes.